chapitre VIII - 2 -
Au bord du lac, il s’installèrent pour la nuit. Le feu autour duquel ils étaient assis crépitait, des brindilles enflammées s’envolaient vers le ciel, ajoutant à leurs yeux, l’espace de quelques secondes des étoiles plus brillantes et plus proches. Pirios peu habitué aux longues chevauchées, s’endormit des le repas avalé. Les ronflements du savant s’élevèrent bientôt, promesse pour lui d’un repos mérité. Cosar, souffrant toujours de la cheville, s’étendit, quelque peu assommé par un mélange d’herbes médicinales que lui avait administré Myriana. Sa respiration se fit vite plus paisible, et il joignit son souffle aux ronflements du terrien.
La jeune femme, volontaire pour le premier tour de garde, remit du bois dans le feu pendant que Zohan allait jeter un dernier coup d’œil aux chevaux. A son retour, trop énervé pour dormir, il s’assit aux cotés de Myriana.
La nuit était claire, étoilée. La lune, un instant plutot voilée par les nuages, avait fait son apparition, donnant un air argenté aux feuilles des arbres de la foret toute proche. Son reflet mouvant dans le lac apportait à la nuit une quiétude, une tranquillité que Zohan était loin de connaître dans son cœur. Les évènements récents, la présence de la jeune femme, le rendaient incapable de prendre du repos, malgré la fatigue accumulée au cours de ces derniers jours.
Le calme, la sérénité de Myriana le touchait plus qu’il ne l’aurait voulu. Il était attiré par sa force d’esprit, son charisme. L’indépendance, le courage, la volonté d’aller de l’avant dont elle faisait preuve à tout instant forçaient son admiration.
Il l’observait à la dérobée. Elle semblait ailleurs, tisonnant le feu à l’aide d’un baton, le visage rougi par les flammes qui paraissaient danser dans ses yeux. De temps en temps, attirée par un bruit, elle détournait son regard du feu et le portait sur la foret. Elle tentait de sonder les bois, guettant dans le noir un mouvement. Puis, rien ne bougeant, elle reprenait tranquillement son jeu avec les flammes, ainsi que le cours de ses pensées.
Contrairement à Zohan, elle percevait les implications qu’auraient dans un avenir proche le réveil des trois savants. Elle fronçât les sourcils et se mordit les lèvres, sentant que la vie des habitants de la planète risquait de changer radicalement.
Le futur prince, voyant ces mimiques, signes de soucis, eut envie de la prendre dans ses bras pour effacer de ce visage les sombres pensées qui semblaient le tracasser. Il retint son geste, pressentant que cela l’indisposerait.
- Qu’as tu ? Tu me sembles soucieuse.
Elle leva vers lui son regard vert, haussa les épaules et secoua la tête en signe de négation.
- Rien… juste une impression, un mauvais pressentiment.
- Racontes ! Nous sommes passés par trop d’épreuves ensemble pour que tu gardes cela pour toi. Est ce que cela à quelque chose à voir avec… demanda Zohan en montrant Pirios de la tête.
- Oui… soupira t’elle. Leur façon de vivre est trop différente de la votre ou même de la mienne sur l’ile d’Alea. Ils auront toujours à l’esprit ce sentiment de supériorité qui a causé la perte de la Terre. Je me demande si les réveiller n’a pas été une erreur.
- Alors pourquoi ?
- Pourquoi je les ai réveillé ? C’est simple, le compte à rebours enclenché lors du séisme il y a quinze jours risquait de détruire toute la planète. Je n’avais aucun moyen d’empêcher ce désastre sans eux. Tout s’est déroulé trop vite. Lorsque j’ai entendu la premier fois le compte a rebours, j’ai réussi à envoyer un pigeon à Alea pour demander conseil, mais tout s’est emballé, ma capture par les gardes, votre venue. Je n’ai pas eu de réponse. Il a fallut que je prenne une décision sans l’accord des Anciens. Je ne sais si j’ai bien agit mais je suis sure que l’explosion du laboratoire aurait entraîné des explosions en chaîne, jusqu’au cœur même de cette terre, à coté de laquelle la grande catastrophe n’aurait été qu’une goutte d’eau.
- Ce… heu… compte à rebours, c’est le bruit que nous entendions ? C’est vrai qu’avec tout ce qui s’est passé, j’avais à peine remarqué qu’il avait disparu. Il faut dire aussi que nous en avions tellement pris l’habitude que je n’y faisait plus attention.
- Oui… D’après ce que l’on m’a appris, les terriens avaient mis en place un système de défense. Ce système était relié à un compte a rebours, un décompte du temps restant avant l’anéantissement de la planète. Ils avaient créé un système d’amplification du son afin que tous soient prévenus et que ceux qui en avaient la possibilité puissent fuir à temps.
- Ils voulaient.. détruire la planète !!! s’exclama Zohan, ahuri.
- En cas d’attaque, oui. Tu sais… les terriens ont toujours été jaloux de leurs possessions et ce qu’ils ne peuvent avoir, ils estiment que personne ne doit le posséder. Et puis, si je me souviens bien de mes cours d’histoire, ils étaient en guerre, je ne sais plus contre qui. Les planètes comme celle-ci étaient devenues des sortes de bases arrières.
- Il va alors falloir les garder à l’œil. Ce Marwin, par exemple, ne m’inspire aucune confiance. Mais, ne t’inquiètes pas, nous les surveillerons.
Myriana hocha la tête, et le silence se fit entre eux. Zohan, toujours sensible à la présence de la jeune femme, reprit la parole.
- Parles moi de ton ile natale Myriana.
Ils chuchotaient pour éviter de réveiller Pirios et Cosar dont ils entendaient toujours les souffles réguliers.
- Alea ? Il n’y à rien à en dire. C’est juste une île, hors du temps. Nous y vivons isolés de votre monde, totalement protégés. Les Anciens décident de tout. C’est pour ca que j’ai tout fait pour être nommée Sentinelle, je voulais fuir ce carcan…Ne t’imagines pas que je n’y ai pas été heureuse, au contraire, mon enfance a été des plus douce, mais j’avais besoin d ‘espace, de liberté, de faire mes propres choix et d’assumer mes erreurs.
Zohan sourit en entendant ces paroles. Elles ressemblaient tellement à la Myriana qu’il avait appris à connaître, indépendante, rebelle, indisciplinée.
Imperceptiblement, il s’était rapproché d’elle. Leurs épaules se touchaient presque. Ils étaient si proches l’un de l’autre qu’il pouvait sentir la chaleur de la jeune femme au travers de sa veste de cuir. Il en était troublé. Elle perçu son trouble et leva son visage vers lui, rivant ses yeux dans les siens. Sans comprendre ce qui leur arrivait, leurs lèvres se joignirent dans un long baiser passionné. Les bras de Zohan enserrait la taille fine de la jeune femme, ses mains glissant sous l’épaisse veste de peau dont elle était revêtue. La sentant tressaillir, il se ressaisit et se détacha d’elle. Sa voix se fit rauque :
- Pardonnes moi, je .. je n’aurais pas du.
- Il n’y a rien à pardonner, lui répondit t’elle en souriant.
Elle avait les pommettes rosies par l ‘émotion et le fixait de son regard émeraude, si limpide qu’il lui semblait contempler un lac tranquille. Quelle différence avec le feu qui couvait dans ses yeux lorsqu’elle s’emballait !
Il lui rendit son sourire, atteignant par cela, au delà de la passion qu’il éprouvait, la compréhension et la plénitude d’un sentiment qu’il savait désormais qu’il était partagé.
- Vas te reposer, lui dit elle. La route est encore longue et cela fait des jours que nous n’avons pas eu d’instant de calme comme celui-ci.
Il acquiesça, se leva, remit d’un geste tendre une mèche de cheveux qui avait glissé sur les yeux de la jeune fille. Il alla s’étendre près de Cosar, ferma les yeux en souriant, confiant dans son avenir, heureux car il savait qu’a son réveil elle serait là.
Ils poursuivirent leur chevauchée, évitant, contrairement à leur premier passage, Pucal et les villages environnants. Ils voulaient éviter les questions sur la présence dans leur troupe d’un homme qui ne ressemblait en rien aux autres habitants de cette terre. L’étonnement de Pirios devant leur façon de vivre était trop flagrant. Il commentait à voix haute tout ce qu’il voyait, demandant sans arrêt le nom des choses qui lui semblaient étranges, trop différentes de celles qu’il connaissait sur la Terre. En traversant les champs, il trouva extraordinaire ce mélange de plantes, à la fois distinctes et à la fois semblables aux plantes terriennes. Ses questions incessantes finissaient par lasser tour à tour les autres membres du groupe. La présence d’une femme se comportant comme un homme pouvait également devenir un sujet de curiosité qu’ils désiraient éviter. Ils pouvaient en galopant cacher l’étrangeté de leur troupe, mais ils ne résisteraient pas à un examen plus poussé.
C’est pour cette même raison, qu’à l’approche de Sarkir, ils ralentirent, s’arrêtant en bordure de la foret domaniale de Meuhr. Trop de monde aux différentes entrées de la ville risquaient de les remarquer et de poser des questions auxquelles ils ne voulaient répondre.
Zohan parti donc seul en direction du palais impérial et revint quelque heures plus tard dans un carrosse fermé, dont la porte était frappée des armoiries impériales, dans lequel ils s’installèrent. Ils purent ainsi passer les portes en toutes discrétion.
Le futur prince se sentait enthousiaste. La fin de sa mission était proche et il avait confiance en la sagesse de l’Empereur pour tenir en respect l’arrogance des terriens. Il souriait, pensant à son père, et à la rencontre de ce dernier avec la troublante et indépendante aleienne assise à ses cotés.
Pirios observait par les fentes du rideau l’animation de la ville impériale. Il était surpris de l’ambiance si vivante qui régnait dans les rues. L’architecture clonique qu’il n’avait pu étudier jusque là , vu qu’ils avaient évité toutes les villes, l’impressionnait et le fascinait par sa simplicité, sa discrète richesse, son ordonnance. Les maisons de pierres à un seul étage s’échelonnaient le long d’avenues droites et larges. Les rues semblaient toutes converger vers un point central, le palais impérial installé sur les hauteurs.
L’animation des rues montait vers eux, les rires d’enfants jouant, les appels de leurs mères, le cri des marchands ambulants, les bruits des différentes échoppes, tout lui rappelait la terre d’une époque lointaine, avant la technique, avant la conquête spatiale, avant les guerres inter-galactiques. C’étaient, pour les habitants de Sarkir, des scènes de vie ordinaires, mais elles étonnaient le professeur terrien. Il ne comprenait pas comment des êtres crées de toutes pièces avaient pu générer un tel mode de vie, paisible, joyeux, vibrant de vie, touchant par sa simplicité.
Myriana se tourna vers lui, l’arrachant à sa contemplation.
- Sarkir vous plait Professeur ?
- C’est extraordinaire ! Toute cette vie, cette multitude, ces différences !! Et vous dites qu’ils ne connaissent pas la guerre ? Ils n’ont aucun problème de délinquance ?
- Juste un peu de brigandage, mais rien de bien méchant. Les lois instaurées sont juste pour tous, les pauvres comme les riches. La seule chose, c’est … Elle regarda Zohan en souriant, c’est leur façon de traiter leurs femmes. Ho ! Je vous rassure, elles ne sont pas malheureuses, mais elles n’ont pas leur mot a dire sur leur destinée.
Cosar marmonna :
- La place d’une femme est à la maison.
Le rire cristallin de Myriana s’ éleva dans le carrosse.
- Vous voyez ce que je veux dire ? Cosar penses-tu vraiment que ma place soit dans une cuisine ?
- Toi non… Tu es différente.
Ses lèvres s’étirent en un sourire énigmatique.
- Je suis aussi femme que ta mère ou tes sœurs. Ne préférerais tu pas une femme qui soit ton égale plutôt qu’un être qui acquiesce a tout ce que tu dis ? Ne crois tu pas que si on leur laissait la possibilité, vos femmes auraient quelque chose à dire ? a apporter a votre monde ?
Cosar ne répondit pas, préférant le silence à une discussion ou il savait qu’il n’aurait pas l’avantage. Myriana, comprenant les raisons de son silence, sourit et se tut, ne désirant pas embarrasser un homme dont elle respectait le courage.
Le carrosse s’arrêta dans une cour intérieure du palais, près de l’entrée des jardins. Messire Rhaa les attendait, seul. Il les regarda descendre un à un, souriant à Zohan et Cosar. Lorsque ce fut le tour de Pirios, le grand chambellan l’observa longuement. Il entendait résonner dans sa tête les paroles que Zohan lui avait dit quelques heures plus tôt :
- Nous ramenons un étranger que nous avons éveillé la-bas dans les Territoires du Sud. Il est savant en son pays. Il a de nombreuses choses à dire a Sa Majesté.
Il regardait attentivement le professeur, se demandant en quoi il pouvait être si différent, quelles étaient les révélations qu’il avait à faire. Il était tellement pris par l’observation de Pirios qu’il ne remarqua pas Myriana descendre. Ce n’est que lorsqu’elle arriva face à lui, souriante, qu’il remarqua les longues mèches de cheveux qui s’étaient échappées de son turban. Il eut un hoquet de surprise.
- Une femme ici !!! Avec vous ! Et armée de surcroît ! Prince, qu’est ce que cela veux dire ???
- Calmez vous messire Rhaa ! Sans cette femme nous ne serions pas ici vivants pour vous parler.
Le grand chambellan regarda attentivement la jeune aléienne, passant sur sa chevelure indisciplinée, observant d’un air réprobateur les armes passées à sa ceinture et riva son regard au sien. Les yeux francs et clairs de la jeune femme lui plurent et il lui sourit malgré les a-prioris qu’il avait envers les femmes.
- Bon, dit il, vous revenez en bien étrange équipage. Et les autres membres de votre compagnie ? Ou sont ils ? J’espère qu’il ne leur ai rien arrivé.
- Ils vont bien. Pouvez vous nous conduire à Sa Majesté ? Nous avons des informations importantes à lui donner.
- Elle vous attends. Mais … heu.. elle … heu je ne peux autoriser une femme à pénétrer la salle du trône.
La voix de Myriana s’éleva, claire et limpide.
- Toujours ces préjugés ! Il est temps que vous compreniez que les femmes elles aussi peuvent choisir leur destin.
L’étonnement se peignit sur le visage de Rhaa. Il ouvrit la bouche, la referma, regarde tour a tour Cosar qui haussa les épaules, Pirios qui était en admiration devant le palais et n’avais rien remarqué et Zohan qui souriait l’air de dire : elle ne changera jamais.
- Il faut qu’elle soit présente Messire Rhaa, lui signifia Zohan. Sans elle rien n’aurait été possible.
Le grand chambellan secoua la tête, puis se résigna, en voyant que le jeune prince ne démordrait pas de cela. Il leur fit signe de le suivre. Ils traversèrent des couloirs déserts en direction de la salle du trône, Cosar toujours boitillant, et Zohan entraînant un Pirios complètement médusé devant les splendides décorations du palais.
L’Empereur les reçut avec simplicité. Il écouta patiemment ce qu’ils avaient à dire, sans les interrompre, examinant avec soin le professeur et la jeune femme. Il restait maître de lui, ne laissant transparaître aucun des sentiments qu’il pouvait éprouver.
Lorsqu’il prit la parole, ce fut tout d’abord pour féliciter Zohan de la réussite de sa mission.
- Prince ! Je vois que j’avais raison de placer en vous ma confiance. Vous voilà revenu avec de biens étranges nouvelles. Je vais devoir réunir le conseil permanent afin que nous puissions décider des mesures à suivre. Mais, en attendant, je vous nomme des à présent membre de la diplomatie impériale, avec pour mission de raccompagner cette jeune femme chez elle et de prendre contact avec les membres de son gouvernement. Professeur, je vous prie d’accepter notre hospitalité et de vous considérer comme des nôtres.
Pirios inclina la tête en signe d’accord, impressionné malgré lui par la majesté et le charisme qui émanait de cet homme, que même les plus dures révélations n’avait pas désarçonné un instant, ce qui n’était pas le cas du grand chambellan. Messire Rhaa, ayant assisté a tout l’entretien semblait dépassé par les événements. Il était pale et ne pouvait s’empêcher de regarder le terrien avec des yeux ronds, ne voulant pas porter crédit à son histoire, se disant qu’il ne s’agissait que d’affabulations. L’Empereur dut le rappeler à l’ordre à différentes reprises en raison des exclamations et des dénégations qu’il proférait. Sa Majesté dut même lui répéter plusieurs fois les ordres qu’Elle lui avait donné avant qu’il ne se décida a les exécuter. Il sortit, oubliant dans sa précipitation de saluer l’Empereur, afin de faire préparer un appartement pour Pirios et mettre en œuvre la nouvelle mission de Zohan.